Sarah vivait seule depuis peu. Se détacher de ses parents n'avait pas été si dur qu'elle l'aurait cru. Peut-être parce que lorsqu'on vit certaines horreurs, les choses nous paraissent tellement plus insignifiantes, si peu importantes. Ou peut-être était-ce sa volonté d'aller de l'avant et de commencer vraiment à vivre. Toujours est-il qu'en l'espace de quelques mois, elle s'était trouvé un travail de serveuse au fast-food du centre-ville et par la suite un petit studio qui lui coutait plus de la moitié de son salaire. Peu lui importait, elle savait se contenter de peu. Le métier qu'elle exerçait n'était pas le plus gratifiant et à la fin de ses journées, elle était courbaturée et sentait la frite à plein nez. Cela sans compter les clients emmerdants. Parfois même ayant les mains baladeuses que Sarah n'osait pas réprimander. Elle ne tenait pas à perdre son boulot à la suite d'une engueulade, mais surtout ne se sentait pas la force de provoquer un désaccord. Le conflit avec elle-même, ou plutôt avec son démon, elle l'avait subit pendant des mois et n'en était pas sortie indemne. Aujourd'hui la jeune femme ne demandait qu'à rendre un travail de qualité et à toucher le salaire qu'elle méritait. Cela lui plaisait de vivre de ses propres moyens, et surtout indépendamment.

C'est d'ailleurs à la fin de son service quelques jours plus tôt, aux environs de seize heures qu'elle avait reçu un appel sur son portable. L'appel avait été bref, froid. Désagréable. D'autant plus que la raison invoquée n'avait pas été très claire.

"Mademoiselle Williams ? Je suis la secrétaire de Monsieur McGregor, avocat ici, à Philadelphie. Monsieur McGregor a retrouvé l'un de vos dossiers et souhaiterait vous rencontrer afin de parler plus explicitement de l'affaire qui est la votre. Vous voudrez bien vous rendre lundi matin à son bureau qui se trouve au ..."

Sarah avait bien demandé plus d'informations, sans pour autant en obtenir d'avantages. Un dossier ? Oui mais lequel ? Après réflexion il ne pouvait s'agir que d'une seule chose... Sarah en frissonnait déjà. Peut-être avait-on découvert des victimes ? Peut-être Sarah était-elle indirectement coupable de meurtre ou d'actes de barbaries ? Qui sait tout ce qu'elle avait bien pu oublier de cette sombre période. La jeune femme aurait pu se montrer désinvolte et choisir de ne pas se rendre à cette convocation fort peu attirante, mais facilement impressionnable, Sarah estima qu'il valait mieux ne pas sécher cet entretien, d'autant plus qu'elle ne savait pas de quoi il en retournait exactement. Rien de bon n'était à présager, mais ça n'allait peut-être pas être aussi horrible que ce que Sarah s'imaginait.


En ce lundi matin, Sarah escalada quelques marches et pénétra dans les locaux qui abritaient le bureau de ce fameux McGregor. Elle s'était habillée de façon un peu plus sophistiquée qu'à son habitude, et de façon plus sombre également. Ainsi elle avait l'air d'une fille sérieuse et ordonnée, très loin de son statut de serveuse de fast-food. C'est l'image qu'elle voulait renvoyer, afin d'avoir l'air plus assurée qu'elle ne l'était réellement.

Sarah s'avança jusqu'à l'accueil où se trouvait un comptoir derrière lequel une femme d'apparence sévère se tenait. Sarah se demanda un instant si c'était cette personne qu'elle avait eu au téléphone. Si c'était le cas, ceci expliquait cela. La jeune femme s'éclaira la gorge avant de s'adresser à l'hôtesse.

Bonjour. Monsieur McGregor désirait me rencontrer ce matin.

- Vous savez bien que j'ai le droit de garder anonyme le nom d'un Démon, et je parle bien de celui qui vous avez accueillit en tant que hôte à vos 16 ans si mon dossier est correcte.

Il avait le droit... Et oui en ce bas monde, les démons avaient des droits. Chose tout à fait ridicule, de tout à fait inacceptable aux yeux de Sarah et de nombreuses autres personnes. Pour autant elle n'avait jamais fait part de son mécontentement. Qui était-elle pour faire entendre sa voix ? Une gamine à peine sortie de l'adolescence dont l'avis ne pesait pas bien lourd dans la balance.
A ses seize ans, oui, elle avait été assaillie par ce démon qui l'avait complètement anéantie. Cela faisait un peu plus de trois ans que la jeune femme avait reprit possession de son corps et de toutes ses facultés, pour autant elle se souvenait de cette période morbide comme si elle avait eu lieu hier. Sarah ne prit pas la peine de répondre à ce commentaire de l'avocat, d'ailleurs, qui avait-il à dire ?

- Hum? Vous pouvez vous défendre par vous-même si vous ne souhaitez point d'avocat, mais je vous le déconseille Mademoiselle Williams, et c'est vous qui dites être la victime, mais mon Client n'est point d'accord sur ce point.

L'avocat avait l'air toujours aussi stoïque et froid. Il était clair qu'il n'était pas du côté de la jeune femme à qui il attribuait tous les tords. Peu à peu, le calme olympien de Gabriel dispersa le malaise de Sarah pour le transformer en colère. D'ailleurs la jeune femme prit soin de joindre les mains pour avoir l'air plus sereine, mais il était clair que la pression qu'elle exerçait était dans le but de calmer ses nerfs. Il n'était bien évidemment pas envisageable pour Sarah de faire un appel à un avocat. Elle n'en avait pas les moyens et surtout, elle n'en éprouvait pas le besoin puisqu'à ses yeux, elle n'était en aucun cas coupable de quoi que ce soit. Son client n'était pas d'accord sur ce point. Ce terme fit frémir les lèvres de Sarah.

- Vous me le déconseillez... J'ai pourtant l'impression que vous vous foutez bien de ce qui est bon pour moi ou non dans le cas présent.

La jeune femme regarda l'avocat d'un air entendu. S'il prétendait le contraire, il s'agissait d'un menteur.

Puis Gabriel ouvrit un dossier, sans aucun doute celui de Sarah et se mit à parler plus en détail de ce dernier.

- Donc à la demande de mon client et vu que les 6 ans légaux ne sont pas passés, j'ai fais une demande d'appel sur l'Exorcisme et le jugement qui a été prit, mon client demandant donc le droit de revenir en son hôte, c'est-à-dire vous. Il déclare donc que vous, Sarah Williams, l'avez bien invoqué lors de son chagrin espérant ainsi que mon client mette fin à votre tristesse, mais que finalement vous n'avez pas su l'acceptez et avez trahit mon client pour qu'il soit exorcisé.

... Et Sarah éclata de rire. Un rire tout sauf joyeux. Un rire nerveux. Elle n'en revenait tout simplement pas. Comment ce démon avait-il pu tourner les choses de cette manière et comment cet avocat de malheur pouvait-il prendre son parti ? Revenir en son hôte ? Jamais. Oh non jamais Sarah ne revivrait ça. C'était tout simplement sidérant. La colère que la jeune femme tentait de dissimuler semblait sur le point d'éclater.

- Qui voudrait faire appel à une sal****** de démon dites-moi ? En quoi aurait-il pu soulager un deuil ?! Il n'a jamais été question d'une invocation de ma part, d'ailleurs à cette époque je venais à peine de prendre connaissance de leur existence ! Vous savez ce que je pense ? Je pense que vous vous foutez bien de moi avec cette version grotesque !

Tout en parlant, Sarah s'était inconsciemment penchée sur son siège. Elle aurait pu se lever et quitter le bureau en trombe, mais elle voulait connaitre le fin mot de cette histoire.